Le Calepin André brûle de rencontrer Jésus. Quel phénomène ! Jésus est beaucoup plus intéressant que ces minables révolutionnaires, qui sont fatigants avec toutes leurs manies. Nadja soupire. Jésus a bien de la chance. Tout le monde s’intéresse à lui. On lui sert du thé et on lui sourit tout le temps. Nadja donne rendez-vous à André à la place principale de Santiago. Sous la grande horloge, les deux attendent André est prêt. Il a son calepin. Au loin, la foule gronde. Peu à peu, la place est bondée. Des centaines de gens s’agitent, chantent, dansent et prient à haute voix. Partout, on lance des orchidées et des pissenlits. André écrit fébrilement dans son calepin : Les orchidées scandent la mesure dans la bouche des horloges. Les pissenlits dansent sur les pieds du délire. André s’impatiente. Où est Jésus ? André veut voir de ses propres yeux cet homme qui se promène à dos de burro et qui porte une croix sur ses épaules. C’est encore mieux que Dali avec un pain géant sur la tête, même si Dali a davantage le sens de la variété. Enfin, Jésus se présente. Il se dirige vers André : « Heureux sont les malheureux, dit-il. Prends ta croix et suis-moi. » Il lui tend la croix qu’il a sur le dos. André sent un frisson. Quelle expérience ! Cependant, il hésite. S’il prend la croix, il ne pourra plus écrire dans son calepin car il n’aura plus les mains libres. Il fixe Jésus du regard et prend des notes à la hâte. La croix de la place. La place de la croix. Le burro se promène à dos de pissenlit. Les heureux malheureux suivent le chemin de la croix... La croix malheureuse est un pissenlit de douleur sur le burro des heureux. Mais Jésus s’est déjà éloigné, porté par la foule. Désemparé, André tente de se frayer un chemin vers lui. « Attendez ! Monsieur ! Attendez-moi ! Vous êtes très Surréaliste ! C’est un cadeau, vous savez ! Je vous rendrai célèbre ! Je suis Auteur ! Attendez ! Je souhaite vous écouter davantage ! » Mais Jésus est parti. Agacé, André soupire bruyamment et se tourne vers Nadja. « On y va ? demande-t-il d’un coup sec de la tête. Nadja hausse les épaules et lui emboîte le pas. André et Nadja se tracent un chemin à travers les orchidées et les pissenlits piétinés par la foule, oubliés sur le sol et qui ne servent plus à rien. |